haro sur le lycée pro
Le programme de Macron menace explicitement les lycées professionnels. Les mesures annoncées doivent être combattues pour ce qu’elles sont : une attaque contre le service public d’éducation lourde de conséquences pour les élèves comme les personnels.
Une augmentation de 50 % de stages en entreprise : au bénéfice de qui ?
Alors que la réforme Blanquer avait déjà saccagé le nombre d’heures d’enseignement disciplinaires, Macron a comme objectif d’augmenter de 50 % les périodes passées en stage. Pour le bac professionnel, elles seront de 30 semaines, contre 18 à 22 semaines aujourd’hui. On veut conditionner ces lycéen·ne·s à « l’employabilité » ?
Pour nous, le lycée professionnel n’est pas une entreprise mais un service public d’éducation qui doit plus encore être au bénéfice de l’égalité et de l’émancipation des futur·e·s travailleuses et travailleurs.
Nous n’accepterons pas non plus les suppressions de postes massives qu’entraînerait à coup sûr une telle mesure pro-patronale.
200 euros, 500 euros ? On veut un vrai salaire pour la jeunesse !
Durant ces stages, les élèves percevraient une rémunération versée par l’État de 200€ par mois jusqu’à 18 ans, et de 500€ au-delà, jusqu’à 25 ans. En réalité elle ne concernerait que les élèves de terminale et serait de toute façon soumise à l’augmentation des périodes de PFMP et de l’alternance.
Une « contrepartie » qui ne sera pas prise en charge par le patronat… mais par l’État, donc nos impôts. Comme pour le travail gratuit imposé aux allocataires du RSA, c’est encore des gains pour les entreprises, de l’exploitation en plus pour les classes populaires.
Nous revendiquons un véritable salaire social pour la jeunesse, financé sur les cotisations sociales comme l’est la retraite.
Fin des diplômes : et les conventions collectives alors ?
En cohérence avec ce projet, Macron a aussi annoncé le 15 mars dans la presse la nécessité « d’un outil de gestion des compétences qui sonne la fin de l’hégémonie des diplômes ». En supprimant le CAP ou le Bac pro, il s’attaque aux conventions collectives, jugées trop contraignantes par les organisations patronales. La fin des diplômes professionnels caractérise également un autre recul majeur : celui de ne plus offrir à tou·te·s les jeunes la possibilité de poursuivre des études qualifiantes.
SUD éducation appelle en conséquence les personnels à se préparer à une lutte d’ampleur contre cette attaque réactionnaire visant à exploser façon puzzle les lycées professionnels. Ce projet piétine des années de luttes qui ont permis des lois contre le travail des mineur·e·s et pour la scolarisation de tous les jeunes quelles que soient leurs origines sociales. Ce sont ces luttes qui ont également permis l’émergence d’une voie professionnelle scolaire dont l’objectif est de dispenser aux jeunes une formation qui articule savoirs professionnels et savoirs généraux. Tout cela est remis en cause. Dès maintenant, engageons la riposte, informons les collègues et les familles : le rapport de force est entre nos mains !
Dégradation accrue des conditions de travail et d’étude
La réforme Blanquer de 2018 poursuit la dé-professionnalisation de ce cursus en abaissant les horaires disciplinaires. L’enseignement général est très impacté par cette baisse (par exemple, on passe de 380h en lettres-histoire lors du cycle bac pro à 267h, 297h avec l’enseignement en co-intervention). Que signifie « valoriser la voie professionnelle » en réduisant les horaires d’enseignement, en favorisant l’apprentissage dès la première ? La poursuite d’études supérieures devient une gageure, d’autant plus avec Parcours Sup. Cet outil est très inégalitaire d’un point de vue social, les jeunes de LP ne bénéficiant pas tout le temps de l’aide nécessaire pour remplir correctement leurs vœux. En terminale, des modules ont été créés pour pallier ces aspects (préparation au supérieur ou insertion professionnelle) mais les enseignant·e·s ne peuvent que se transformer en ersatz de conseiller·ère d’orientation, sans formation préalable. Loin de renforcer le service public de l’orientation, cette mesure ne fait que confirmer sa détérioration.
Autre aspect néfaste de cette réforme : le mixage des parcours, des publics et des temps d’enseignement. Certains jeunes ont la possibilité de passer des épreuves après un, deux ou trois ans de formation. Ces aménagements, effectués essentiellement en CAP, seraient pertinents compte tenu du public accueilli mais, encore une fois, aucun moyen financier ni matériel (classes nombreuses etc.) n’existe pour appuyer cette évolution qui aurait pu bénéficier aux élèves porteurs de handicap, allophones etc. Comment accueillir correctement ce type de jeunes sans personnel formé, sans classes UP2A en nombre suffisant, sans classes à effectif réduit ? L’institution compte, comme toujours, sur la conscience professionnelle et le don de soi de la plupart des enseignant·e·s mais iels se fatiguent…
Une réforme au service du patronat
La crise sanitaire a exacerbé les difficultés rencontrées en LP depuis de nombreuses années. A l’impossibilité de travailler des gestes professionnels à distance, s’est ajouté un accès inégal au numérique. Elle donne à voir un projet ministériel au service du patronat et de la réduction des coûts. Les inégalités se creusent avec un décrochage plus important des élèves de LP lors de la pandémie. L’orientation par défaut voire par l’échec reste un élément fondamental toujours non résolu car il met en lumière des dysfonctionnements plus profonds de notre système scolaire, et cela de la maternelle à l’université.
Bien loin de valoriser l’enseignement professionnel, cette réforme abaisse donc le niveau des lauréat·e·s du bac professionnel, réduit leur accès aux études supérieures, leur capacité à s’insérer dans un contexte social et économique très difficile. De son côté, le personnel est de plus en plus en souffrance car le travail quotidien ne leur semble plus en adéquation avec ses missions. La perte de sens de ce que l’on fait, de son utilité sociale crée un mal-être au travail. Ces aspects sont la conséquence d’un projet plus global d’une société toujours plus individualiste, concurrentielle, en un mot néo-libérale.
En survalorisant l'apprentissage et en occultant délibérément l'existence des PFMP (période de formation en entreprise) au sein des LP, Emmanuel Macron et son gouvernement montrent leur volonté de privilégier l'insertion précoce des jeunes dans le monde du travail, au détriment d'une véritable formation scolaire articulant compétences professionnelles et savoirs généraux. Ces derniers sont pourtant indispensables pour se construire en tant que citoyen·ne.
L’apprentissage : un Eldorado ?
L’accès au monde du travail via l’apprentissage est loin d’être idyllique. Les entreprises sélectionnent les élèves, comme elles discriminent à l’embauche (discrimination sociale, ethnique, de genre...). D'autre part, elles souhaitent souvent avoir des apprenti·e·s plus âgé·e·s, qui ont déjà eu une petite expérience professionnelle. Enfin, les taux de rupture restent relativement élevés car près de 22% des apprenti·e·s mettent fin à leur contrat1. L'apprentissage n’est donc pas la solution miracle pour obtenir un diplôme puis un emploi.
En lycée professionnel, les personnels œuvrent chaque jour pour que tous leurs élèves acquièrent un diplôme et une première expérience du monde du travail à travers les PFMP. En tant que service public, le lycée professionnel accueille les élèves sans distinction sociale, géographique, ethnique ou porteurs d’un handicap. A cela, le ministère oppose son obsession de « l’employabilité » via le développement de l’apprentissage.
Le quotidien dans les lycées professionnels
Depuis quelques années, certains établissements scolaires accueillent dans les mêmes classes des jeunes sous statut scolaire et d'autres avec le statut d'apprenti·e·s. Ce processus s’est accéléré depuis la mise en place de la réforme Blanquer de la voie professionnelle à partir de la rentrée 2019. Cela crée de nombreux problèmes d'ordre organisationnel et pédagogique, les jeunes n'ayant pas le même degré de maturité, d'autonomie ni les mêmes périodes de formation en entreprise. Avec ces temps d’alternance différents et donc des groupes classes différents selon les semaines de cours, comment construire une progression cohérente et pertinente pour les élèves ? D’ailleurs, cela participe à une perte de sens de notre travail, de nos missions. Et pour les personnels, le risque est grand de subir une annualisation du temps de service afin de satisfaire aux exigences horaires imposées par les entreprises et l’administration.
D’autre part, la réforme de la formation professionnelle de 2018 entérine le fait que le versement de la taxe d’apprentissage s’effectue au bon vouloir des entreprises pour les organismes de formation de leur choix. La « chasse » à la taxe est désormais ouverte dans tous les LP pour obtenir des fonds précieux voire indispensables pour améliorer les équipements des ateliers ou leur fonctionnement, avec des risques de dépendance voire d’asservissement des établissements scolaires au monde économique.
Nous constations donc que ces réformes inacceptables ont toutes la même logique néolibérale : assujettir encore plus les jeunes et l'enseignement professionnel au monde de l'entreprise. Valoriser des diplômes tels que le CAP ou le Bac pro réclamerait une réflexion forte sur l'orientation des élèves, sur notre système scolaire qui engendre de l'échec et de la reproduction sociale, réflexion dont les enseignant-e-s ne doivent pas être exclu-e-s. Cela nécessiterait aussi des moyens pour l'enseignement professionnel public, afin de former et accueillir ces jeunes dans les meilleures conditions.
1 / D'après Marie-Hélène Toutin, chargée d'étude au CEREQ, centre d'études et de recherches sur les qualifications